El lenguado

Soy
lo gris contra lo gris. mi vida
depende de copiar incansablemente
el color de la arena,
pero ese truco sutil
que me permite comer y burlar enemigos
me ha deformado. He perdido la simetría
de los animales bellos, mis ojos
y mis narices
han virado hacia un mismo lado del rostro. soy
un pequeño monstruo invisible
tendido siempre sobre el lecho del mar.
Las breves anchovetas que pasan a mi lado
creen que las devora
una agitación de arena
y los grandes depredadores me rozan sin percibir
mi miedo. El miedo circulará siempre en mi cuerpo
como otra sangre. Mi cuerpo no es mucho. Soy
una palada de órganos enterrados en la arena
y los bordes imperceptibles de mi carne
no están muy lejos.
A veces sueño que me expando
y ondulo como una llanura, sereno y sin miedo, y más grande
que los más grandes. Yo soy entonces
toda la arena, todo el vasto fondo marino.

La sole

Je suis
gris sur gris
 ma vie dépend
de l'inlassable imitation
des couleurs du sable
mais ce tour subtil
qui me sert à manger et à tromper l'ennemi
m'a rendu difforme. J'ai perdu la symétrie
des beaux animaux, mes yeux
et mes narines
ont glissé d'un seul côté du visage. Je suis
un petit monstre invisible
toujours étendu sur le fond de la mer.
Les brèves anchois qui passent près de moi
Croient être dévorés
par un remous dans le sable
et les grands prédateurs m'effleurent sans percevoir
ma peur. La peur circulera toujours en moi
comme un autre sang. Mon corps n’est pas grande chose. Je ne suis qu'un tas
d'organes enfouis dans le sable
et les bords imperceptibles de ma chair
ne se trouvent jamais très loin
Parfois je rêve que je m'étire
et que j'ondule comme une plaine, serein et sans peur, plus grand
que les plus grands. Je suis alors
tout le sable, tout le vaste fond marin.

_______________________________________________________

Informe para mi hermano muerto en la infancia

Ahora no hay lugar a discusión ni defensa.
La peste tenía su oficio.
Fue duro verte rodar como una semilla.
Yo sobrevivo entre los muertos.
Caminamos por los pasillos como en esas silenciosas y vastas
              posadas.
Respiramos el deseo de huir sin cancelar la cuenta.
Papá escanció su último aire sobre nosotros.
Me acompaña una muchacha parecida a una fuente.
Nos alimenta una licuadora.
Ya empieza el verano.
Te ves con papá?
En general, me he vuelto un poco indiferente.
A veces pesa mucho el silencio de los cipreses y los muertos.

Etat des lieux pour mon frère mort dans l’enfance

Il n’y a plus lieu au débat ni aux disputes
La maladie faisait son travail.
Ce fut dur de te voir rouler comme un grain.
Je survis parmi les morts.
Nous parcourons des couloirs comme dans ses vastes et silencieuses
            demeures.
Nous respirons le désir de nous enfuir sans payer l’addition.
Une jeune fille qui semble une fontaine m’accompagne.
Un mixeur nous alimente.
L’été vient de commencer.
Tu vois papa ?
Presque tout m’est devenu indifférent.
Qu’il est lourd parfois le silence des cyprès et des morts.

_______________________________________________________

La oruga

Te he visto ondulando bajo las cucardas, penosamente,
             trabajosamente,
pero sé que mañana serás del aire.

Hace mucho supe que no eras un animal terminado
y como entonces
arrodillado y trémulo
te pregunto:
¿sabes que mañana serás del aire?
¿te han advertido que esas dos molestias aún invisibles
serán tus alas?
¿te han dicho cuánto duelen al abrirse
o sólo sentirás de pronto una levedad, una turbación
y un infinito escalofrío subiéndote desde el culo?

Tú ignoras el gran prestigio que tienen los seres del aire
y tal vez mirándote las alas no te reconozcas
y quieras renunciar,
pero ya no: debes ir al aire y no con nosotros.

Mañana miraré sobre las cucardas, o más arriba.
Haz que te vea,
quiero saber si es muy doloroso el aligerarse para volar.
Hazme saber
si acaso es mejor no despejar nunca la barriga de la tierra.

La chenille

Je t’ai vu onduler sous les hibiscus, péniblement,
            laborieusement
mais je sais que demain tu iras dans l’air.

J’ai appris il y a longtemps que tu étais un animal inachevé
Et comme à cet instant-là
Agenouillé, tremblant
je te demande :
Sais-tu que demain tu iras dans l’air ?
Est-ce que l'on t'a dit que de cette gêne encore invisible naîtront tes ailes ?
T'a-t-on parlé de la douleur que l’on éprouve lorsqu’elles s’ouvrent
ou bien ne sentiras-tu qu’un allègement soudain, un étourdissement
et un frisson sans fin te remonter du cul ?

Tu ignores le grand prestige que possèdent les êtres de l’air
Il est probable qu’en découvrant tes ailes tu ne te reconnaisses pas
et que tu désires renoncer,
mais il est trop tard, tu dois aller dans l’air et sans nous.

Demain je regarderai entre les hibiscus, ou bien plus haut.
fais en sorte que je te vois,
je veux savoir s’il est douloureux de s’alléger pour s’envoler
fais-moi savoir
s’il vaut mieux ne jamais décoller son ventre de la terre.

© Jesús Martínez Mogrovejo, 2009
© Philippe Colin, 2009

1 - 2 - 3 - 4 - 5